16 Juillet 2012
Il y a des dates à marquer d'une pierre blanche. Et le 23 juillet 2011 en fait parti. Un an bientôt qu'Amy Jade Winehouse, reine de la soul incontestée et incontestable, aura rejoint ces légendes trashs ou suicidaires, fauchées au même âge, qui forment le fameux club des 27.
De ce triste rassemblement on se souviendra de termes empruntés à Rock n' Folk : "certes cette vie est un gâchis", "fragile psychisme", "puissance esthétique traversant leur corps", "se laisser bouffer par un monde qui se nourrit goulûment de notre propension au martyre". Et au mileux d'eux ( Kurt Cobain, Jim Morrison, Janis Joplin, Jimi Hendrix, Brian Jones, Robert Johnson...), la nouvelle admise : la pâle, anorexique, siliconnée Amy, avec son visage lunaire, et sa choucroute 60's "assez grande pour qu'elle puisse y dissimuler une demi-douzaine de bouteilles de vodka."
Elle buvait. Et a essayé sous les conseils de son taulard de mari à peu près tout ce qui circulait sur le marché des substances illicites. Manque d'amour propre, mauvaise rencontre, angoisses, masochisme, oubli et desin scellé, ce que les lecteurs assidus de journaux peoples retiendront d'elle en des termes moins délicats. Des gens dont la vie et l'esprit doivent être bien vides. Car elle n'a pas volé sa place au rang d'icône. Amy a écrit des standards. Suivant ses aînées Sarah Vaughan/ Billie Holiday/ Ella Fitzgerald dans les rythmes saccadés, les passages du grave à l'aigu, les vibratos, variations de timbre, technique irréprochable, puissance évidente, paroles racontants ses déboires de fille fleur-bleue, naïve, frondeuse et paumée.
Mais pas seulement. "Tout son corps semblait investi dans sa voix, [...] elle chantait aussi avec une sorte de second degré, de distance, troublante et très sexy.", explique Jeanne Cherhal. Amy se racontait en chansons avec une divine nonchalance comme si tous ses problèmes n'étaient pas sérieux ou inquiétants. Cette gamine juive et blanche de Londres à la voix noire et chaude de la soul-woman en fin de vie, cette fille qu'on croit prolétaire, autodictate et féministe, qui est en fait issue de la middle-class, inspirée par sa grand-mère maîtresse de Ronnie Scott et par un père qui se rêvait crooner, cette diva sous la coupe de mâles dominants, soumise, et elle en est fière, comment a-t-elle pu trouver au fond de ses tripes, du haut de ses 23 ans, avec ses six cordes de guitare, la force d'écrire puis d'interpréter son chef-d'oeuvre Back to Black ?
Dans les 50's on ne se posait pas la question, on chantait de la soul car elle était à la mode, et surtout on ne composait pas. Qui peut se vanter aujourd'hui dans l'industrie musicale de savoir aussi bien chanter qu'écrire ? La puissance de sa voix qu'elle distillait avec une grande classe et force d'accents langoureux tranche encore aujourd'hui avec ses paroles crues et son 1m57 qu'elle tortillait timidement en présence d'inconnus. "Ceux qui ont connu Amy Winehouse décrive d'abord une enfant. "La première fois que je l'ai vue, j'avais devant moi une gamine follement douée, polie et timide.", dit Salomon Hazot son tourneur en France. "Quand elle a chanté au Zénith, elle était émerveillée comme un môme"", explique-t-on au Monde. Lorsqu'elle se produit en live, les spectateurs pleurent et elle ne comprend pas pourquoi. "C'est vrai, les gens m'aiment vraiment ?", demande-t-elle continuellement à ses musiciens. L'une de ses scènes les plus célèbres reste son apparition aux Brit Awards 2008 (voir fin article). Ce qu'elle peut faire avec sa voix dépasse et écrase alors Beyoncé, Prince et autres starlettes gluantes du R&B qui se réclament d'un genre qu'ils ne comprennent même pas.
Amy c'était la bonne culture en plus de la voix. Citant pêle-mêle The Ronettes, Frank Sinatra, Donny Hathaway, Ray Charles, et les Beastie Boys, elle ne se voit pourtant pas vieillir dans le métier :"Dans dix ans je m'occuperais de mon mari et de nos septs enfants." Et pourtant "Amy Winehouse fut la vedette d'une lente mise à mort en direct, juteux et macabre spectacle, à l'affiche des tabloïds dès 2006. [...] Piégée dans sa vie comme dans un jeu de télé-réalité, où les spectateurs contemplaient sa déchéance en live." (Le Monde). Ce qu'ils semblent ignorer c'est que tous les plus grands sont passés par là. Mais qu'on leur a donné une chance de s'en sortir. Amy, elle, a été hacelée ; ça ne pouvait plus durer et d'ailleurs, c'est fini. De sa carrière éclair, trois albums restent : "Frank" très jazzy, tellment rétro que presque démodé où elle s'illustre aussi bien dans du R&B originel ("Stonger than me"), que dans des titres qu'aurait pu fredonner Dinah Washington ("I heard love is blind") ; "Back to Black" dont l'entêtant "Rehab" n'est plus à présenter mais qui m'attire plus pour ces morceaux chargés d'émotion que sont "Some unholy war" ou "Me & Mr Jones" ; et puis "Lioness : Hidden Treasures" avec "Like Smoke" (feat. Nas) et "Half Time", deux titres où elle se révèle prodigieusement musicienne, sans oublier son duo avec Tony Bennett "Body and Soul". On se tait et on écoute.
Nul besoin de dégoulinade avec elle, sa voix a assez de chouettes modulations pour qu'elle puissa se passer de grandes envoles lyriques. Et le prouve en s'illustrant avec sobriété et brio à seulement 19 ans dans la reprise d'un classique "Moddy's mood for love". "Du ré profond au mi bémol 6 qu'elle atteignait en voix de tête, Amy Winehouse jazzait comme elle respirait." (Rock n' Folk). Grâce à elle, la soul vintage est devenue le truc du moment. Tous s'y sont mis : Adèle, Duffy, Lana Del Rey, Vv Brown... Une floppée d'imitateurs plus ou moins talentueux et qui n'ont jamais égalé (ou remercié !) celle qui leur aura ouvert la voie des studios d'enregistrements.
Et Mark Ronson, le meilleur producteur qui soit, son producteur et ami conclu :
"Je pense toujours à elle et à sa manière de ne jamais faire de compromis, dans sa musique et dans tous les jours de sa vie. Et je pense du plus profond de mon être, que si je pouvais faire de la musique et vivre ma vie avec le même niveau d'honnêteté et d'intégrité qu'elle vivait la sienne, je serais un meilleur homme grâce à ça..."